Dialogue sur l’avenir des déchets radioactifs

Analyse profonde du partitionnement et de la transmutation

Le combustible destiné aux centrales nucléaires classiques se compose d'oxyde d'uranium (UO2) enrichi de certains isotopes d'uranium (dont l'uranium 235) par rapport à ce que contient l'uranium naturel. En chargeant le combustible d'uranium dans le réacteur nucléaire selon une configuration bien précise, il est possible de produire de l'énergie en provoquant la fission des atomes d'uranium-235.

Cette fission produit des éléments plus légers (produits de fission), dont une partie est radioactive. Par ailleurs, des éléments plus lourds que l'uranium se forment (le plutonium et une série d'autres substances, regroupées sous l’appellation ‘d’actinides mineurs’ - ils sont tous radioactifs).

Enfin, les éléments structurels contenant le combustible ainsi que des impuretés dans le combustible d’uranium lui-même vont également être activés, c'est-à-dire qu'ils vont devenir radioactifs alors qu'ils ne l'étaient pas à l'origine (produits d'activation). La même chose se produit dans le réacteur nucléaire avec certains éléments de construction (comme par exemple des métaux ou des structures en béton proches du réacteur).

L’énergie nucléaire produit ainsi trois types d'éléments radioactifs : des produits de fission, des produits d'activation et des actinides (composés d'uranium, de plutonium et des actinides mineurs).

Le retraitement et le recyclage aujourd’hui 

Les combustibles usés sont pour l’instant entreposés sur les sites des centrales nucléaires, où ils refroidissent dans l’attente de leur gestion ultérieure. Ils peuvent être considérés comme des déchets et être directement enfouis. C’est ce qu’on appelle un cycle ouvert. 

Une forme de recyclage peut déjà être appliquée aujourd’hui au combustible usé d'une centrale nucléaire. Il s'agit d'extraire du combustible usé l'uranium et le plutonium encore utilisables, qui permettent de fabriquer de nouveaux éléments combustibles pour les centrales nucléaires (ce qu’on appelle le combustible MOX ou les oxydes mixtes, un mélange d'oxyde d'uranium et de plutonium).

Les autres éléments (produits de fission, produits d'activation et actinides mineurs) sont concentrés sous forme de déchets et coulés dans une matrice de verre. Ces déchets vitrifiés deviennent alors des déchets finaux. De cette façon, le plutonium peut être réutilisé une seule fois. Le combustible MOX irradié n'est donc plus réutilisé. C'est ce qu’on appelle un cycle de combustible partiellement fermé. Le combustible MOX usé est considéré comme une forme finale de déchet qui doit être enfoui afin de garantir la sécurité à long terme.

Le retraitement et le recyclage demain

Des recherches sont en cours pour pouvoir encore recycler une fois l'uranium et le plutonium du combustible MOX usé des réacteurs actuels (génération II/III) ou pour pouvoir le recycler indéfiniment dans un cycle fermé. Cette dernière solution nécessite un nouveau type de réacteur nucléaire, les réacteurs rapides de quatrième génération. 

Comme cette méthode évite de devoir stocker du plutonium, elle réduirait considérablement la radiotoxicité des déchets à stocker. La radiotoxicité est la nocivité en cas d'ingestion directe, par exemple par ingestion ou inhalation. Dans le combustible usé classique, la radiotoxicité provient principalement du plutonium et, dans une moindre mesure des actinides mineurs. Il est important de savoir que la radiotoxicité n’est que l’un des paramètres importants pour la sécurité d’un stockage géologique.

En plus de ce cycle fermé, les actinides mineurs pourraient également être scindés (‘transmutés’) par partitionnement et transmutation (P&T) pour devenir des radionucléides moins radiotoxiques. La transmutation peut se faire dans un réacteur rapide ou dans un réacteur spécifique de transmutation. La Belgique investit dans cette recherche, notamment par le biais du SCK CEN à Mol et de la construction du réacteur MYRRHA, le premier réacteur de recherche au monde piloté par un accélérateur de particules. Pour pouvoir scinder la plupart des actinides mineurs, un recyclage continu est également nécessaire (c'est-à-dire un cycle fermé). Outre des recherches sur le réacteur de transmutation, des recherches sont donc également en cours sur des techniques permettant de scinder (‘partitionnement’) les actinides mineurs du combustible usé.

En cas de choix pour un cycle fermé, il faut toutefois garder à l'esprit que cela nécessitera la construction industrielle de plusieurs installations nucléaires pendant une longue période – de l'ordre de 100 ans. Cela entraînera la production de quantités supplémentaires de déchets, notamment de produits de fission et de produits d'activation à longue durée de vie.

Indépendamment de la technologie du réacteur ou du cycle du combustible utilisé, la scission des atomes entraîne la production d'énergie et de produits de fission. Ceux-ci, dont l'iode-129 (qui a une demi-vie de 16 millions d'années), le sélénium-79 (356 000 ans), le technécium-99 (214 000 ans), le césium-135 (2,3 millions d'années)..., ne sont pas recyclables et constituent des déchets finaux à longue durée de vie qui nécessitent une solution à très long terme. On en revient donc encore au stockage géologique. D’autre part, les techniques nucléaires avancées ne sont pas applicables en pratique à des déchets déjà conditionnés tels que les déchets vitrifiés et bitumés.

Retour au stockage géologique

Plus de quarante années de recherche ont démontré que, dans l'évolution prévue du système de stockage, seuls les radionucléides de longue durée de vie finissent par atteindre la biosphère. En effet, les radionucléides dégagés à terme par les déchets ne peuvent se déplacer dans la couche géologique que par un processus de transport très lent (diffusion). La radioactivité des radionucléides à durée de vie courte sera ainsi éteinte bien avant d'atteindre la biosphère.

Pour les radionucléides de longue durée de vie, leur libération dans la biosphère dépend du degré auquel ils seront retenus dans le système de stockage (= le conditionnement et l’installation de stockage + la couche géologique qui accueille le stockage). 

Dans le cas d'un stockage géologique dans de l'argile indurée, par exemple, les actinides sont fortement retenus car ce sont des métaux lourds qui ‘collent’ pour ainsi dire aux particules d'argile (l'argile est d’ailleurs aussi utilisée dans le secteur médical en cas d'empoisonnement aux métaux lourds). Une partie des produits de fission et d'activation est également fortement retenue. La libération dans la biosphère des produits de fission et d'activation qui ne sont pas ou peu ‘adhérents’ (par exemple l'iode-129 – demi-vie de 16 millions d'années, le sélénium-79 – 356 000 ans, le technétium-99 – 214 000 ans, le césium-135 – 2,3 millions d'années...) s'étale sur de longues périodes en raison de la lenteur du processus de diffusion. Il en résulte une exposition de l'homme et de l'environnement nettement inférieure aux limites imposées et bien plus faible que l'exposition due à la radioactivité naturelle.

L’importance de la radiotoxicité et de la puissance thermique

Dans ce contexte, la radiotoxicité totale des déchets n'est importante pour la sécurité d'un stockage géologique que dans le cas d'un scénario d'intrusion humaine, volontaire ou non, jusqu’au stockage. Il en résulterait une dose radioactive élevée pour les intrus et/ou pour les personnes résidant à proximité.

Ces scénarios, dans lesquels l'homme pénétrerait activement dans le système de stockage, sont cependant considérés comme peu probables si l’installation est construite à une profondeur suffisante, dans un endroit où il y a peu de ressources naturelles,...

Dans cette optique, et en ayant à l’esprit tout ce qui précède, les technologies nucléaires avancées n'auraient donc que peu ou pas d'effet sur l'impact radiologique du stockage dans le cas d'une évolution normalement prévue du système de stockage. Avec ce scénario d'évolution normale, la dose à laquelle la biosphère sera jamais exposée restera la même.

D’un autre côté, il est un fait que, pour une roche hôte donnée, l’emprise (la taille) du stockage dépendra du volume final et de la puissance thermique des déchets enfouis. Les technologies nucléaires avancées peuvent réduire cette puissance thermique de sorte que les galeries de stockage puissent être placées plus près les unes des autres, ce qui pourrait réduire l’emprise (la taille) et le coût d'un stockage géologique.

Consensus sur le partitionnement et la transmutation 

Dans un rapport d'experts, l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN) de l'OCDE indique qu'un effet important du P&T est que la puissance thermique des déchets de haute activité sera fortement réduite, ce qui diminuera aussi l’emprise d’une éventuelle installation de stockage ainsi que les risques de radiotoxicité en cas d'intrusion hypothétique (humaine) dans l’installation. En outre, le P&T pourrait améliorer la perception du public quant à une gestion sûre des déchets radioactifs, étant donné que certains des composants les plus risqués pourraient être transformés en substances moins dangereuses.   

Dans un ‘position paper’ commun, l’ONDRAF et le SCK CEN estiment aussi qu'un cycle de combustible fermé avec ou sans partitionnement et transmutation du combustible usé pourrait présenter des avantages pour un stockage géologique en réduisant la radiotoxicité et/ou la puissance thermique des déchets.

La diminution de la puissance thermique peut permettre de rapprocher les galeries de stockage et donc de réduire l’emprise  (la taille) et le coût d'un stockage géologique. 

La diminution de la radiotoxicité n’est importante qu’en cas d'intrusion humaine dans le stockage. Ce scénario est considéré comme peu probable si l’installation est construite à une profondeur suffisante et dans un endroit où les ressources naturelles sont rares.

Un stockage géologique est de toute façon nécessaire. Même après partitionnement et transmutation, il reste des déchets de longue durée de vie qui doivent être isolés de l'homme et de l'environnement pendant plusieurs centaines de milliers d'années. De plus, le partitionnement et transmutation ne sont pas applicables en pratique à des déchets (de longue durée de vie) déjà conditionnés tels que les déchets vitrifiés et bitumés.

L’AFNC et, en France, l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) dans son avis 2013-AV-0187, adhèrent également à ces points de vue.

 

Sources :

MYRRHA, Multi-purpose hYbrid Research Reactor for High-tech Applications.

Nuclear Energy Agency (NEA/OECD). Potential Benefits and Impacts of Advanced Nuclear Fuel Cycles with Actinide Partitioning and Transmutation

NIRAS en SCK CEN. Common Position Paper. La séparation et la transmutation comme complément potentiel au stockage géologique pour la gestion sûre et à long terme des déchets radioactifs de haute activité et de longue durée de vie

FANC. Alternatives to the direct disposal of spent fuel in a geological facility: routes derived from spent fuel reprocessing. 2022-07-19-KGOV-5-4-1-EN 

Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN). Avis n° 2013-AV-0187 du 4 juillet 2013 sur la transmutation des éléments radioactifs à vie longue